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INTERVIEW ORA ITO

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INTERVIEW ORA ITO — 07.02.2018

REALISATION PROJET STAND ET MOBILIER PREMIERE VISION

Ora Ito a gagné le concours de nouveau concept de stand et mobilier du salon Première Vision Paris.

Quelle était ta vision de ce rendez-vous mondial de la filière textile ?

En fait, je le connaissais déjà depuis très longtemps. Parce qu’il y a eu la grande épopée du renouveau de la création française de la fin des années 90. Première Vision est le salon qui a accompagné toute cette nouvelle génération de créateurs qui ont émergé fin des années 90. Personnellement, c’est à ce moment là où j’ai découvert Première Vision. J’y allais en tant qu’observateur pour préciser mon terrain de jeu futur.

Ça m’a rappelé mon enfance, enfin mon adolescence. J’y allais à 18 ans alors qu’à cette époque je ne savais pas encore dans quel domaine créatif j’allais pouvoir m’exprimer. Dans le design, la mode et l’architecture aujourd’hui il y a du textile donc si tu veux, cette matière a pris une importance très forte dans la création et donc ça me rappelle cela déjà. Les débuts dans l’âge adulte.

C’est un salon qui offre une vision de la création et d’éveil des créateurs ? C’est le salon si tu veux, où tu vas aller faire tes courses pour tes collections. Clairement. Tu vas venir t’inspirer, tu vas venir voir toutes les nouvelles innovations, tu vas avoir un aperçu très instinctif des couleurs et matières qui prédomineront les années futures. C’est un très bon catalyseur de tout ce qui se fait au niveau des atmosphères textiles et créatives.

PREMIERE VISION en 3 mots, ce serait pour toi ?

Précurseur et au-delà de cela c’est le rassemblement de toute l’intelligence des nouveaux textiles.

Tu as donc été sélectionné pour redessiner ce salon qui a été designé à l’époque par Wilmotte, puis par Jourdan Avossa, et là ce fit ton tour. Quelle a été ton appréhension de la problématique, comment l’as-tu abordée ? Peux-tu nous décrire le principe d’architecture que tu as imaginé pour redessiner la Ville Première Vision ?

On est déjà sur un concept qui doit durer 7ans. Ça c’est ton premier argument, ta première problématique et première contrainte à laquelle tu dois répondre. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il faut oublier toute posture, toute tendance… Il doit être totalement intemporel en fait. Au-delà d’être un lieu qui va avoir un caractère. Il faut qu’il ait un caractère assez neutre. De manière à ce qu’il puisse s’effacer pour qu’il puisse perdurer. C’était ça le challenge je pense, comment trouver un lieu qui puisse être cool d’année en année alors que l’on est dans un monde dans lequel les choses changent très vite, où les tendances se raccourcissent, où les modes se raccourcissent… Où la temporalité est à la fois très longue et très courte et où il faut trouver ce point d’équilibre.

Du coup, tu l’as appréhendé comment ? C’est simple à dire mais comment ça se concrétise ?

Du coup je l’ai appréhendé comme Jean Prouvé pouvait appréhender ses chaises ou son mobilier et son architecture mobile : d’un point de vue très ingénieur. Finalement, le système est toujours beau. Un système bien fait fonctionne bien, c’est une belle ingénierie, une belle mécanique, c’est toujours beau et intemporel. Quand on regarde les projets de Jean Prouvé il y a quelque chose d’intemporel justement car ça ne répond à aucun style mais vraiment à la réponse de la structure. Je me suis vraiment attaché à cette idée de structure, de frame, de cadre qui est devenu un système en fait à la fin. On est plus dans un stand où l’on vient poser un mur de part et d’autre, un espace cloisonné. On crée un système et c’est cela qui fait que même dans 20 ans le projet fonctionnera encore.

Et donc c’est un système modulaire, c’est une technique et un assemblage qui permet d’inviter des matières. Ça a été un des points de différenciation de ton projet au tout début parce que ce système métallique appelle et invite de la matière. Exactement, il a aussi cette versatilité de pouvoir changer, de pouvoir inviter une autre matière dans ce cadre qui vient justement habiller les parois. Mais en plus de l’habiller il est structurel, il a une vraie fonction. Il n’y a rien de gratuit, de superflu ou d’éléments en trop ou en moins. On est vraiment dans juste ce qu’il faut. Avec un travail exceptionnel de GL et leurs partenaires pour la fabrication des profils et la production exécutive.

Ça a été vraiment une approche de technique et elle se veut être innovante en ayant une volonté de casser les codes.

Pas forcément casser les codes. Je souhaitais plutôt imaginer quelque chose de nouveau qui me ressemble mais qui soit surtout au service de la fonction et donc du meilleur système possible pour les gens qui vont prendre ces stands. Ils auront un système modulable, ils pourront étirer leur identité tout en étant dans un cadre très défini. Ils ont un mobilier neutre mais qui justement peut se marier avec leur propre identité. Si tu veux c’est un ensemble de choses qui fait que l’on arrive sur un projet intemporel, intelligent, fonctionnel, mobile, facile de montage, de démontage, facile à stocker… Cela fait partie de la beauté de l’objet dans l’idée de les empiler. Il y a une certaine logique.

Donc tu as une approche très fonctionnelle, très pratique pour les usagers qui soient visiteurs ou exposants. Une approche très pratique pour le salon lui-même.

La matière est mise à l’honneur aussi avec ces cadres, puisqu’on vient vraiment créer le cadre parfait pour inviter une matière à venir créer les rues. C’est comme une ville !

L’échelle du projet est colossale. Quelle a été ton approche de cette ville PREMIERE VISION qui habite tout PARIS EXPO VILLEPINTE ?

C’est une micro-ville, une sorte de médina, bâtie sur le même principe que New-York en fait avec des perpendiculaires. En fait, ce qui est intéressant dans un bon projet c’est qu’il n’y a pas tellement de choses à raconter en fait. Plus tu en as à raconter, plus tu vas superposer les idées les unes sur les autres et au final moins tu en as. C’est la simplicité.

Cette simplicité, visuellement elle se traduit comment d’un point de vue global ?

De la manière la plus neutre possible, le plus texturé possible aussi, car il y a vraiment une lumière qui réfléchit cette matière et qui amène aussi quelque chose d’aléatoire, de non maitrisé. Parce que c’est quelque chose de très maitrisé c’est important d’y amener un peu de poésie. Et cette poésie elle vient de cette partie non maitrisée, de cette réflexion de la lumière sur ces matériaux etc.

La réflexion sur les matériaux elle a été quand même complexe parce qu’elle devait répondre à la fois à une esthétique mais aussi à un cahier des charges.

Elle a évolué en fait car sont apparus des besoins d’entretien, de neutralité… C’est important toutes ces choses. Il faut que l’on sente la qualité en fait. C’est ça qui est mis en avant. C’est un objet de qualité, pas comme l’idée préconçue d’un stand.

Ce projet s’exprime aussi par une ligne design globale de mobiliers et de luminaires. Quelle a été ton approche de design pour cette nouvelle collection ?

Ce qui m’intéressait dans le mobilier c’était l’idée de dire aussi, de réutiliser la matière.

Oui, juste pour focus, le salon Jourdan Avossa avait la peau en corian qui représentait des kilomètres, et c’est vrai que ça a été un des points forts du projet : de dire on recycle ce corian pour lui redonner vie.

Exactement, et ça, ça fait partie vraiment de tout le renouveau de mon travail. Et cette réflexion c’est vrai qu’elle m’avait beaucoup plu parce qu’à un moment donné dans la présentation il y avait un schéma avec le processus de récupération des vieux stands, le fait de le ramener en atelier, de le plisse, de le transformer et on le ramène. Et c’est vrai que c’est un des points qui avait énormément plu au jury. Au-delà de l’aspect très fonctionnel, très intemporel, très moderne de ma proposition il y avait aussi cet aspect recyclage, qui est presque évident à la fin. On peut ne pas y penser mais à la fin ça apparait comme évident tu vois.

Cela a contribué à donner un plus à ta réponse et à dessiner ton mobilier puisque tu es parti d’un postulat de feuille en fait.

Oui bien sûr, de feuille pliée qui donne en fait leurs lignes à tout le mobilier et toute l’identité des chaises, des tables, des armoires… toute la ligne.

La question de la lumière était essentielle aussi. C’est du textile qui est exposé donc il faut le révéler par la lumière très fortement.

Oui, il y a cette lumière qui doit être intégrée car elle vient appuyer voire caresser tout l’espace J’ai essayé de faire en sorte qu’il y ait le moins d’objet possibles mais que tout soit unitaire pour éviter toute confusion. Là on ne peut causer la confusion car on a tellement d’éléments que les participants veulent faire un focus important sur leur marque, leur produit, leurs textiles, tissus, couleurs…

Le design de la lampe elle-même est aussi très fort

Cette lampe qui est magnifique, elle est dans l’esprit de la lampe que j’avais faite pour ARTEMINE pour laquelle j’avais gagné pas mal de prix. C’était la One Line qui est une lampe qui a été beaucoup copiée. L’idée étant de ponctuer l’espace avec cette ligne qui va venir courber et signifier l’espace.

C’est donc une ligne globale avec une approche de la lumière très architecturée et très intégrée au dispositif général. Simplification maximale au bénéfice de l’usage.

À un moment donné faire un concours avec autant de talents et cette compétition je l’ai pris comme quelque chose de très personnel. Il y avait quand même tous les plus grands actuellement en architecture et en design. Donc pour moi l’angle n’était pas de dire on va rentrer dans une compétition stylistique où l’on va imposer son identité mais au contraire essayer de comprendre où est la problématique d’un salon comme celui-ci, comment on va pouvoir l’accompagner pendant 7 ans, et comment on va pouvoir permettre d’avoir un montage qui ne se fait pas dans la douleur mais plutôt dans le plaisir. Comment on va pouvoir avoir un système qui va pouvoir se décliner, être mobile, s’adapter à n’importe quelle configuration. Comment intégrer au maximum toutes les fonctions pour permettre aux marques de pouvoir exister sans que l’on vienne imposer notre identité tout en ayant en même temps, et c’est cela qui est difficile, c’est ce savant dosage entre être identitaire, fort et avec du caractère tout en étant assez transparent et minimaliste.

Tu la résumerais comment, en très court, ton approche globale en fait ?

C’était un système en fait. Il y a aussi la modularité, l’intemporalité et surtout l’intégration, un peu comme dans une voiture où tout est intégré, un même objet intègre le tableau de bord, le moteur… c’était un peu l’idée du projet. Et aussi, comme je le disais je faisais une référence à Jean Prouvé, je pense que c’est la bonne référence parce que lorsque l’on regarde son travail, c’est dépourvu de tout style et de toute fioriture pour ne laisser en apparence que le système. Et c’est toute la beauté de l’intelligence du fonctionnement de ces systèmes.

Est-ce que ce sujet a été un sujet atypique pour toi ? En termes d’approche : traiter tout un univers de salon dans sa globalité c’est…

C’est quelque chose que je n’avais jamais fait. Il y a des parties dont je suis plus heureux que d’autres, il y en a d’autres qui peuvent être … Dans l’absolu je trouve que c’est une approche globale

Cet exercice il se rapproche d’une question d’architecture ou d’urbanisme ou les deux à la fois ?

Pour moi, c’était plus comme travailler un meuble en système. L’architecture non, car on était quand même sur des choses légères, on n’est pas sur du lourd. On reste dans la catégorie de l’objet. Mais on se situe plutôt dans des grands meubles intelligents. Même pas des grands meubles, des systèmes intelligents. Un objet seul n’est rien. Il n’y a pas un seul objet à retenir en fait, si l’on doit retenir quelque chose c’est le système dans sa globalité. Pour moi tout rentre dans un même système : tu as un système de cloisons et d’intègrement et différents éléments porte tissu, éclairage tout ça… Et après tu as les objets mobiles qui sont plus libres, qui n’ont pas de profil, qui n’ont pas tous ces systèmes de fixation et de plug qui répondent aussi à une idée de recyclage et donc de ne pas perdre ce qui aurait… Pour moi c’était inenvisageable de se dire que l’on allait perdre des kilos voir des tonnes de corian.

Il y avait une prise de conscience durable et aussi de l’échelle en fait

Oui et aussi de diminution. Il n’y a pas plus de matière qu’il n’en faut aussi, c’est intéressant. Il n’y a pas d’idée de maçonnerie, on comprend qu’on est dans un système. On assume le fait d’être mobile. On assume le fait d’être dans un lieu qui n’est pas figé mais qui est amené à changer et à accueillir d’autres événements. Ça c’est intéressant aussi.

Oui, tu as vraiment inventé une trame un peu textile en fait. C’est un peu comme un maillage que tu as quadrillé.

Ce n’est pas vraiment moi, c’était imposé plus ou moins mais disons qu’on est venus renforcer cet aspect trame, matrice.

Oui et puis si demain PV ouvre un deuxième département ou une autre zone de salon on peut aussi remettre en scène avec une peau différente. Grâce à ce système on peut créer un quartier en fait

Il suffit de mettre des panneaux en bois, au lieu de métal ou de béton et c’est complétement différent. Il est complétement caméléon et peut changer de physionomie d’une seconde à l’autre.

Et pour finir, ton mot de la fin

Si tu n’as pas l’angle, t’as pas la bonne approche Et pour moi, finalement le seul moyen de trouver un intérêt à faire ce projet est d’y voir quelque chose de fort et d’impactant c’était d’apporter quelque chose de nouveau. J’ai envie de te dire, ce n’est pas forcément qu’un stand, c’est pareil pour un hôtel ou un projet d’architecture global.

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